Page 65 - World of Golf N°185
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Issu d’une longue lignée de coachs, Claude Harmon a dû jouer des coudes pour se montrer à la hauteur de son nom de famille. Si l’on parle beaucoup de son père qui a été l’entraîneur de Tiger Woods pendant onze ans et l’a conduit à la place de n°1 mondial, on évoque un peu moins souvent son grand-père qui s’est imposé au Masters en 1948. Et quand on sait que ses trois oncles, Dick, Billy et Craig ont également été coachs ou caddies sur le PGA Tour, on comprend pourquoi le nom des Harmon est si respecté dans les cercles gol ques.
Auréolés de leurs succès, ils ont bâti un véritable empire du coaching, et Claude, comme son père, a accompagné plusieurs joueurs jusqu’au sommet – notamment l’actuel n°1 mondial Brooks Koepka ainsi que le joueur qu’il a remplacé à cette place, Dustin Johnson. Étonnamment, c’est au Butch Harmon Learning Centre qu’il a percé, au poste de responsable pédagogique au Floridian National, où il a travaillé avec Ernie Els pour l’aider à décrocher son quatrième titre majeur (son premier en huit ans) au British Open 2012. Les victoires se sont enchaînées depuis, d’abord avec DJ puis, plus récemment, avec Koepka, qui a notamment remporté consécutivement l’US Open et le PGA Championship en 2018. Harmon admet que les deux Américains doivent surtout leur réussite à leur puissant driving, qui comptait parmi les meilleurs du PGA Tour la saison dernière.
Conscients de tout cela, nous avons traversé l’Atlantique pour passer une journée avec Claude, dans l’espoir de dissiper certains des mythes entourant le driving et de découvrir les secrets du succès de DJ et de Koepka. Mais, dans un premier temps, nous n’avons pu résister à l’envie de l’interroger sur les relations de travail que son père entretenait avec Tiger et sur son enfance au sein de la famille Harmon...
J’ai baigné dans le golf dès mon plus jeune âge. Vu ma famille, je n’ai pas vraiment eu le choix. Mon grand-père a remporté le Masters dans les années 1940. Ensuite, mon père et mes trois oncles ont tous été entraîneurs. Ils ont travaillé avec des joueurs comme Greg Norman, Curtis Strange, Lanny Wadkins et Ben Crenshaw. Je crois que j’étais déjà sur le Tour deux semaines après ma naissance parce que mon père jouait encore à cette époque. Mon oncle Billy était cadddie sur le Tour et Bill Haas a reçu son prénom en son honneur. L’aîné des enfants de mon oncle Billy porte le prénom de Jay Haas. Je crois qu’on peut dire que nous avons laissé notre marque dans ce sport.
Je n’ai pas joué au golf pendant mon enfance, mais je me souviens d’avoir assisté à certaines leçons de mon père, de mes oncles et de mon grand-père. J’ai passé un été à assister mon père quand j’avais 16 ou 17 ans et je l’ai vu enseigner. Ce fut mon premier contact avec cette profession. Je suis allé pour la première fois au Masters en 1987 alors que mon grand-père était toujours de ce monde. C’est là-bas que
“Écoutez, je me contente de frapper la balle aussi fort que possible à chaque coup et, ensuite, je pars à sa recherche. Je ne sais pas toujours où elle va aller, mais je suis beaucoup plus long que tous ceux avec qui je joue.” TIGER WOODS
j’ai compris ce que ma famille était au golf. Tous les matins, je petit-déjeunais dans le vestiaire des champions avec mon grand- père et des gens comme Jack Nicklaus, Arnold Palmer, Gene Sarazen, Seve... les plus grands.
En fait, j’ai lmé la toute première leçon que mon père a donnée à Tiger.
C’était le 23 août 1993. À cette époque, mon père travaillait avec Greg Norman, qui venait de reconquérir la place de n°1 mondial et de s’imposer au British Open au Royal St. George’s, mais je me souviens à quel point Tiger l’a émerveillé. Aucun de nous n’avait jamais vu quelqu’un swinguer un club de golf aussi vite que lui.
Tiger avait des chaussures de ville et nous avons dû aussi lui donner un gant. Mais c’est surtout sa franchise et sa manière ouverte de parler de ses capacités qui nous a frappés. Mon père l’a questionné sur sa philosophie et sur sa manière de jouer et Tiger lui a répondu : “Écoutez, je me contente de frapper la balle aussi fort que possible à chaque coup et, ensuite, je pars à sa recherche. Je ne sais pas toujours où elle va aller, mais je suis beaucoup plus long que tous ceux avec qui je joue.” Lorsque mon père lui demandait de faire quelque chose qu’il ne savait pas faire, Tiger le disait immédiatement mais ajoutait également : “Si vous m’apprenez à le faire, j’essaierai.” Avoir à 16 ans une telle honnêteté sur ses propres capacités, c’était unique. La majorité des jeunes joueurs veulent montrer qu’ils sont bons, mais Tiger était di érent.
Il séjournait chez nous parfois. J’allais le chercher à l’aéroport et je lui payais à déjeuner parce qu’il n’avait pas d’argent.
J’avais pour mission de le réveiller le matin. Ensuite, j’allais prendre ma douche puis je retournais le réveiller ! C’était avant son opération des yeux au laser, donc il portait des lunettes Urkel avec des verres très épais. Il était constamment en train de les chercher. À cette époque, Tiger était un gamin de 16 ans normal. En n, ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas devenir celui qu’il est devenu et avoir une vie ordinaire. À un moment donné, la célébrité change la donne.
Par la suite, le cercle autour de Tiger s’est refermé.
Je me souviens à quel point c’était devenu pénible de sortir dîner avec lui en 2000 parce qu’on ne pouvait jamais être tranquille. J’ai toujours dit que c’est sur le parcours que Tiger se sent le mieux. C’est le seul moment où
personne ne peut le déranger et où il a vraiment le contrôle de sa vie.
Le premier joueur avec lequel j’ai travaillé en solo était Trevor Immelman. À cette époque, je conseillais Adam Scott, mais je suis tombé sur Trevor dans une salle de sport à Dubaï et nous avons discuté. Nous avons ni par aller dîner et deux semaines plus tard je commençais à travailler avec lui. C’était au Golf National en 2002 et il a signé le record du parcours au cours de la première manche. Il a eu l’occasion de s’imposer mais, nalement, il a terminé 2e derrière Malcolm MacKenzie. En moins d’un an, Trevor a remporté deux tournois et intégré le Top 50 mondial.
Quand on a la chance d’avoir un père comme le mien qui s’appelle Butch Harmon, on n’a pas le droit à l’erreur !
Il a toujours été à mes côtés, mais c’était important pour moi de m’occuper seul d’un joueur. C’est pour cela que, pendant un an, je n’ai pas parlé avec mon père du travail que je faisais avec Trevor. Je voulais être sûr que tout ce que nous faisions venait vraiment de moi. Nous avons enchaîné de bons résultats mais j’ai ni par me rendre compte que c’étaient les succès de Trevor qui conditionnaient ma réussite et mon estime de moi-même. Je me souviens qu’en 2004, alors que j’étais au practice pendant la Coupe du monde de golf, j’ai ni par partir parce que je ne supportais plus de voir ce que j’étais devenu.
Entre 2004 et 2010 je n’ai travaillé avec aucun golfeur professionnel.
La pression et les nombreux déplacements m’avaient vraiment usé. Quand on suit ces joueurs, on crée une relation très intense avec eux. Trevor était perfectionniste, donc ce n’était pas facile. Je n’étais content de moi- même que lorsque Trevor jouait bien et j’étais déprimé quand tout ne se passait pas au mieux. Je ne me dé nissais que par le golf, j’avais perdu de vue qui j’étais. Lorsque j’en ai pris conscience, je n’ai plus eu envie de travailler avec les pros.
Je me suis éloigné du circuit et j’ai ouvert une école de golf à Dubaï en 2008.
J’y ai passé trois ans et j’y ai retrouvé le goût et la joie d’enseigner. Le fait d’entraîner des amateurs m’a aussi beaucoup appris. J’ai quasiment quadruplé la taille de l’école, qui se trouvait en fait au Els Club. Mon père travaillait avec Ernie, mais ils se sont séparés et, quelque temps après, lors d’un tournoi de la Race to Dubai, Ernie m’a demandé de le
janvier 2019 | worldofgolf-fr.com 65